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Corse : « Notre île est une société malade, fascisante »

« Plus il y aura de développement économique, moins il y aura de pressions souterraines sur les élus », assène le maire de Linguizzetta, Séverin Medori.

Propos recueillis par 

Publié le 20 avril 2015 à 13h50, modifié le 27 avril 2015 à 17h15

Temps de Lecture 3 min.

Le président du conseil exécutif de Corse, Paul Giacobbi et Manuel Valls, à Ajaccio, en 2013.

Menacé et soumis à de fortes pressions, Séverin Medori, le maire corse de Linguizzetta, l’une des plus importantes communes de la Plaine orientale, a décidé de rompre avec la culture locale qui refuse tout appel à l’aide à l’Etat. Il a déposé une plainte en janvier 2014 pour ne pas laisser, dit-il, la voie libre à des appétits occultes dans le domaine touristique et de la construction. Plus d’un an plus tard, son constat est amer.

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La Corse est la proie d’une violence mafieuse où se mêlent l’argent, la politique et les voyous. Pourquoi cette spécificité ?

C’est une société incestueuse, très petite, où règne une grande mixité et promiscuité. C’est une terre sur laquelle l’Etat est faible. Les voyous, quant à eux, font partie de la société, ils sont des acteurs à part entière de la vie sociale. Ce n’est pas infamant d’être un voyou, c’est un destin parmi d’autres. L’explication de leur forte présence dans notre société insulaire est complexe. Ce n’est pas le seul cas de surreprésentation par rapport au nombre d’habitants. Notre collectivité a aussi produit beaucoup de fonctionnaires.

Vous êtes l’un des rares maires à avoir osé porter plainte pour dénoncer des pressions de nature mafieuse, alors qu’à l’évidence elles concernent aussi d’autres élus. Pourquoi ? Est-ce la peur ?

Ce n’est pas que le fait de la peur. Il y a aussi le fait qu’agir ainsi est perçu comme une manifestation de faiblesse. Mais je n’ai rien d’un héros et je ne veux pas l’être. Je dirais même que, pour ma part, l’expérience m’a rendu très amer. Si je ne regrette pas de l’avoir fait, je ne porterai plus plainte. Dans le fond, j’ai le sentiment que cela ne sert à rien. On n’est pas pris au sérieux, que ce soit face à la justice pénale ou à l’autorité administrative. Les choses n’avancent pas, et les gens le savent. Cette inaction renforce l’impunité et vous affaiblit.

Vous semblez en vouloir à l’Etat…

Quand Manuel Valls est venu à Porto-Vecchio, avant qu’il ne soit premier ministre, il nous a dit : « Avec moi, les préfets vont appliquer le droit. » Pourtant, il subsiste des cas flagrants de fausses délibérations et de faux en écriture publique, qui restent sans réaction de l’Etat. La préfecture et le sous-préfet contestent mes affirmations. Mais ils sont, pour moi, comme le fameux « cabri européen » du général de Gaulle, ils s’enivrent de mots pour mieux masquer leurs renoncements.

Ce n’est quand même pas l’Etat qui a tué Jean Leccia, un des directeurs du conseil général de Haute-Corse, ou Jacques Nacer, président de la chambre de commerce et d’industrie de Corse-du-Sud !

Je le sais bien. La Corse n’est pas exempte de reproches. A bien des égards, notre île est une société malade, à la dérive, fascisante même, qui refuse d’admettre sa propre déliquescence. Le pire, c’est que ces morts ne seront pas les derniers. Il existe, ici, une forme de fatalisme, car le système auquel nous sommes confrontés fonctionne selon des règles occultes qui agissent de manière diffuse et subtile.

Lors de la campagne pour les élections départementales, d’ex-amis de Paul Giacobbi, président de l’exécutif territorial, ont stigmatisé le « système Giacobbi ». Parlez-vous du même système ?

Pour moi, il n’y a pas de système Giacobbi en soi. Il y a un vieux système clientéliste et clanique insulaire qui concerne tout le spectre politique sur l’île. Il a pu perdurer et se renforcer car, en face, l’Etat est arrangeant et inconstant. Le moteur de tout cela, c’est l’argent, notamment public, qui transite par le biais des marchés. Les déchets et les routes sont les plus profitables, et donc à l’origine de plus fortes tensions qui peuvent conduire au pire. Derrière les pressions qui pèsent sur moi aujourd’hui se profilent clairement la spéculation foncière et des projets auxquels je m’oppose.

L’arrivée sur l’île d’une certaine richesse, avec la décentralisation, au début des années 1980, n’a-t-elle pas été un cadeau empoisonné attirant les appétits mafieux ?

Si l’Etat jouait son rôle, ce ne serait pas un cadeau empoisonné. Et tant que la société corse ne se sera pas questionnée sur sa violence, les élus subiront le poids de ce transfert de richesse. Sur le terrain, des maires s’efforcent de résister. Mais plus il y aura de développement économique, moins il y aura de pressions souterraines sur les élus. La multiplication des initiatives individuelles et des créations d’entreprises peuvent constituer un rempart efficace car, plus vous avez d’acteurs économiques, moins vous pouvez les contrôler.

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