Masculinité

Quels sont les nouveaux visages de la masculinité ? 

Si certains hommes estiment toujours que l’on se doit d’être virils sans compromis, l'influenceur Raphaël Carvalho (@Dolly__Page) affirme que nous sommes bien plus complexes qu’une liste de caractéristiques préétablies.
Quels sont les nouveaux visages de la masculinit

Ces trois dernières années, différentes représentations de la masculinité se sont immiscées au premier plan des mondes de la culture, du marketing et du divertissement. Le catalyseur de ce phénomène est sans aucun doute l’arrivée de RuPaul’s Drag Race, émission de télé-réalité de drag queens, sur VH1 en 2017. L’émission était auparavant diffusée sur Logo TV, chaîne LGBT+ américaine, à l’audience bien moindre. Dès sa diffusion à grande échelle, le show est devenu viral. RuPaul’s Drag Race est le premier programme à avoir remporté simultanément l'Emmy Award de la meilleure émission et celui du meilleur présentateur en 2018. Le show était pourtant en compétition face à des géants dans sa catégorie : Top Chef, The Voice et The Amazing Race. Les participantes de l'émission sont alors parties à l'assaut du mainstream. Shangela (saison 3) s'est retrouvée sur le plateau de A Star is Born aux côtés de Lady Gaga et Prada puis Moschino ont choisi Violet Chachki (gagnante de la saison 7 de RuPaul’s Drag Race) pour les représenter depuis l’an dernier. Le monde musical a également pris le pli : Jaden Smith, entre autres, balaie d’un revers de manche les codes vestimentaires associés au genre masculin. On assiste ainsi à l'éclosion du genre libre et les conventions s’effondrent. La société accorde davantage aux hommes l’opportunité d’interroger la masculinité et sa pluralité. Mais parallèlement à cet éveil, la haine et l’incompréhension font rage.

Raphaël Carvalho, ou @Dolly__Page sur Instagram, est un jeune influenceur queer, drag queen et maquilleur professionnel qui participe à l’essor de cette représentation. Sorti major de sa promo de la prestigieuse école de maquillage Make Up Forever Academy, il s'est fait connaître sur Instagram grâce à son indéniable talent et sa communauté croissante et très engagée. Le jeune homme, qui "joue avec les codes de la masculinité parce que ce n’est rien d’autre qu’un jeu", est aujourd'hui l'un des influenceurs queers parisiens dont le travail est le plus reconnu et partagé. Rencontre.

Pause vocabulaire

"Métrosexuel", "queer", "transgenre", "homosexuel", "drag queen"… La distinction entre ces différents termes en surprendra encore certains mais elle est nécessaire afin de s’exprimer avec respect. Premièrement, la différence entre "sexe" et "genre" est fondamentale. Le sexe concerne les "caractéristiques biologiques et physiologiques" tandis que le genre "sert à évoquer les rôles qui sont déterminés socialement, les comportements, les activités et les attributs qu'une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes" selon l’OMS. De plus, un homme métrosexuel prend tout simplement soin de lui, sans corrélation aucune avec son orientation sexuelle. Le mot "queer", littéralement "étrange" , était une insulte homophobe jusqu’à ce qu’il soit réapproprié par les individus concernés. Il désigne aujourd’hui la dimension militante qui sous-tend la communauté LGBT+. Enfin, Il est nécessaire de noter la différence absolue entre l’homosexualité, la transidentité et les drag queens. Etre homosexuel, c’est être attiré par un individu du même genre que soi. Selon l’Association Nationale Transgenre, "est transgenre toute personne qui ne s’identifie pas complètement au rôle social culturellement assigné à son sexe". Il s’agit d’une identité. Faire du drag, au contraire, est éphémère, c’est une performance théâtrale donc artistique : un individu qui reprend les codes de la féminité pour les exagérer.

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"Porter une barbe est un artifice, comme porter du maquillage."

"Je suis juste un être humain. J’aime me sentir plus femme un jour et me sentir plus homme un autre jour". Mais Raphaël précise : "je ne me sens pas forcément femme quand je porte des talons". Parce que si la féminité est un ensemble de codes à respecter, la masculinité l’est tout autant. "Porter une barbe est un artifice, comme porter du maquillage". On se cache derrière des codes imposés, qui réfrènent les identités. Se comporter comme un homme selon Raphaël ? "C’est se retenir, ne pas exprimer ce que l’on ressent à part quand on se bat. Ce sont des codes nocifs dont il faut savoir jouer". Il est donc nécessaire de ne pas se confondre avec les codes qu’on nous impose. Pour Raphaël, les codes de la féminité et de la masculinité se répondent. Par exemple, "les hommes sont plus dans la retenue que les femmes" selon le jeune homme qui précise : "Les hommes doivent être fiers et rester dans une forme de neutralité". Et ce sont des codes que l’on nous inculque dès le plus jeune âge. "Si un petit garçon se fait mal, on va lui dire qu’il ne doit pas pleurer parce que c’est pour les filles. On impose des codes. On nous dit dès l’enfance qu’un homme ne doit pas exprimer ses sentiments et ses émotions alors que c’est un réflexe humain". Exprimer ses émotions, pour un homme, resterait un signe de faiblesse selon Raphaël.

"On n’est heureux qu’en étant soi."

Cette charte comportementale qui plane au-dessus des hommes porte un nom. Eddy de Pretto parle de "virilité abusive" dans "Kid" mais on parle plus généralement de "masculinité toxique". "Se cacher derrière un masque et un comportement est épuisant. J’en rencontre beaucoup qui ont vécu ça", raconte Raphaël. Parmi ses 28 000 followers sur Instagram, des centaines de garçons le contactent pour aborder ce sujet. "Je reçois tous les jours des messages de garçons de tout âge qui me remercient d’être moi et de les représenter. Des plus âgés qui auraient aimé avoir ce courage aux plus jeunes qui me remercient de parler d’ambition et de rêve en étant soi".

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"J’ai eu très honte de ne pas correspondre aux stéréotypes masculins."

"J’ai eu honte d’être un garçon efféminé. Je me suis senti repoussant, j’ai toujours eu honte jusqu’à découvrir l’expression de la féminité pour comprendre ensuite la masculinité", confie Raphaël. Les jeunes hommes qui ne correspondent pas aux critères préétablis de la masculinité imposée souffrent, même au sein de la communauté LGBT+. "Je pense que la masculinité toxique chez les homosexuels vient d’une souffrance causée par la société. Ils ont tellement soufferts qu’ils adoptent les codes extrêmes de la virilité pour qu’on les laisse en paix". On nous impose d’être virils et on essaye, parfois dans l’excès, de correspondre à ces idéaux imposés en étant persuadés que ça nous rendra plus heureux. "C’est en assumant qui je suis que je suis devenu heureux" affirme Raphaël. "J’ai arrêté de cacher qui je suis vers l'âge de 18 ans, en parlant de mon homosexualité à mes proches". S’assumer a été une étape sombre et ardue pour le jeune influenceur. "Lorsque tu parles pour la première fois de ton homosexualité, tu as l’impression d’avouer une honte que tu as caché toute ta vie." Les jeunes garçons homosexuels et a fortiori efféminés, selon Raphaël, sont élevés dans une société qui ne les accepte pas tels qu’ils sont. "Tu es dans un mensonge perpétuel, envers toi et les autres, et c’est très difficile d’accepter que, même si tu ne corresponds pas aux codes imposés, tu es légitime et as le droit d’exister".

"J’espère qu’un jour, aucun petit garçon n’aura à vivre ce que j’ai vécu."

C’est ainsi qu’on touche à la nécessité de la représentation. Le jeune influenceur est persuadé que s’il avait grandi avec plusieurs images de la masculinité autour de lui, les choses auraient été bien plus simples. "J’aurai aimé avoir un modèle et de ne pas avoir honte. Mes seuls repères était de très rares personnes devenues clichées qu’on voyait dans les médias. Benoit de Secret Story ou Steevy de Loft Story. C’était les seules représentations et on était réduit à cette image". D'où l'importance de personnalités comme comme Raphaël qui multiplient les représentations et exposent au monde une image plurielle de la masculinité.

"Mon rêve c’est que les gens se disent que je suis efféminé et que ce ne soit pas une insulte."

Aujourd’hui, les hommes prennent soin d’eux. Selon le cabinet d'études Euromonitor International, le marché mondial des soins pour hommes devrait atteindre en 2020 les 60,7 milliards de dollars, soit 51,4 milliards d’euros, multipliant par trois son chiffre d'affaires par rapport à 2015. Prendre soin de soi n'est plus exclusivement féminin. "Une femme peut ne pas être féminine et un homme peut l’être tout comme une femme peut être masculine alors qu'un homme pas". Mais si les hommes se sont mis à prendre soin d’eux, ils le font avec des produits estampillés "pour homme". "Un fond de teint masculin est de la même composition qu’un fond de teint pour femme", rappelle Raphaël. En les distinguant, on épargne aux hommes l'impression qu’ils adoptent tout simplement des codes de la féminité. Ce qui est pourtant un pas en avant vers l’égalité.

Le fait que les masculinités et les identités plurielles de genre soient médiatisées ne signifie pas pour autant qu’elles sont mieux acceptées. Selon le Ministère de l'Intérieur, les discriminations envers la communauté LGBTQ+ sont en hausse permanente, + 36 % l'an passé en France, alors que 2018 était déjà perçue comme une "année noire". "Ces chiffres témoignent de l'ancrage profond de l'homophobie et de la transphobie dans la société [et] s'inscrivent dans un contexte plus large de progression des actes de haine et des extrémismes identitaires", a souligné le Ministère. Malgré cet affligeant constat, le combat progresse petit à petit, notamment grâce au travail mené par certaines associations. Mettre en avant la pluralité des masculinités dans les médias permet une représentation démultipliée. Les individus concernés ont pu se regrouper et se sentir légitimes. Cela a également permis aux individus non concernés mais bienveillants de reconsidérer leurs stéréotypes et d’accepter que la masculinité peut être plurielle, différente, redéfinie.

@Dolly__Page / Instagram

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