Même les moins de 35 ans sont touchés par la fracture numérique
PREMIERE CHANCE - Les moins diplômés éprouvent les plus grandes difficultés à apprivoiser Internet. Mais les formations se multiplient pour lutter contre l'illettrisme numérique et favoriser une meilleure inclusion.
On a tous connu la grande angoisse de la perte du mot de passe ou de son identifiant pour se connecter au site des impôts ou à celui de la Sécurité sociale. Mais pour une grande majorité de Français, ouvrir un ordinateur et fureter sur le Web est bien plus qu'une frayeur. Un véritable handicap. Près de 14 millions de personnes se sentent mal à l'aise avec Internet. Parmi elles, des sexagénaires, de jeunes retraités. Un tiers ne sont ainsi pas connectés, selon une étude du CSA Research pour le Syndicat de la presse sociale, parue en mars. Mais pas que.
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D'autres exclus du Web sont plus surprenants. Comme les jeunes, notamment issus des quartiers prioritaires. Ils maîtrisent les usages ludiques, les réseaux sociaux, échangent via Instagram et Snapchat plutôt que par texto. Mais éprouvent toutes les peines du monde à saisir des mots-clés dans Google pour faire une recherche d'emploi ciblée, envoyer une pièce jointe dans un e-mail ou scanner un document. Face à ces lacunes, beaucoup ferment l'ordinateur et raccrochent.
Un phénomène de précarité numérique chez les jeunes
Ces "abandonnistes" seraient près de 19% d'après l'étude du CSA Research. Parmi eux, 21% sont des digital natives, âgés de moins de 35 ans. Jeunes souvent issus des quartiers prioritaires, ils n'ont pas forcément de connexion à domicile, ni d'équipement. Juste un smartphone pas toujours adapté à la navigation. Les sociologues se sont penchés sur ce phénomène de précarité numérique et parlent de "digital naïfs". C'est-à-dire de juniors qui vivent une double peine sur le marché de l'emploi : exclusion numérique et sous-qualification.
"Des compétences de base au même titre que lire et écrire
"
Une enquête de 2015 d'Emmaüs Connect, qui lutte contre la précarité informatique, menée auprès du public suivi par les missions locales, livre un constat inquiétant : ces jeunes consultent moins régulièrement Internet que les plus diplômés et ne disposent que très rarement d'une adresse e-mail. À la mission locale de Lille, ils sont ainsi moins de 25% à en avoir une et 45% à Grenoble. Un sur deux ne la consulte jamais. Pénalisant quand on est au chômage et que la majorité des offres est diffusée on line.
Alors que toutes les démarches administratives seront dématérialisées d'ici à 2022, souffrir d'illettrisme numérique oblige à vivre à côté, voire même en dehors, de la société. "Ce sont des compétences de base au même titre que la capacité à lire et à écrire, observe Misoo Yoon, directrice générale adjointe de Pôle emploi. Elles incarnent un vrai besoin car lorsque vous recherchez un emploi, il est important et utile de pouvoir mobiliser les ressources disponibles sur le Web pour être plus performant dans sa recherche." Le discours infuse. Seuls 12% des demandeurs d'emploi n'utilisent pas le numérique pour dénicher un job et 3% parce qu'ils ne savent pas comment faire. Ainsi 260.000 sont formés chaque année à être plus à l'aise avec ces outils. Une obligation même alors que Pôle emploi digitalise de plus en plus ses services (inscription, échanges avec les conseillers, envois de documents…).
La fracture numérique en chiffres.
(JDD)En agence, des équipements et 2.200 emplois en service civique spécialement formés sont à la disposition de ceux qui éprouvent les plus grandes difficultés. Après une phase de test à Paris, Lille et Strasbourg, le site Les Bons Clics, conçu en partenariat avec Emmaüs Connect, permet à chacun d'identifier son niveau de compétences numériques. En fonction, des ateliers de 40 heures peuvent être proposés. Un dispositif national de soutien est aussi en cours d'élaboration.
400 nouvelles "grandes écoles du numérique"
Des projets qui s'inscrivent dans la stratégie d'inclusion numérique prônée par le gouvernement et pilotée par Mounir Mahjoubi . Le secrétaire d'État chargé du Numérique est en train de déployer un passe dédié qui permettra aux administrations, entreprises et collectivités de venir en aide aux plus stressés. D'une valeur de 50 euros, il servira à financer des programmes d'accompagnement (formation, tutorat…). Expérimenté dans cinq régions cette année dont la Nouvelle-Aquitaine, il sera généralisé d'ici à 2019, avec un budget de plusieurs dizaines de millions d'euros.
"Dur de les convaincre, l'autocensure est forte
"
La fracture numérique ne s'exprime pas uniquement dans les gestes et compétences. Mais aussi dans l'accès à l'emploi. Car la "Web révolution" a besoin d'experts pour la mener. Or elle en manque. "Il existe de fortes tensions sur ces métiers avec des difficultés de recrutement sur des profils de niveau supérieur au bac, souligne la directrice générale de Pôle emploi. Mais ce sont des secteurs qui peuvent proposer des emplois à des personnes peu qualifiées moyennant une formation." Voilà pourquoi l'État a lancé en avril le plan 10.000 formations au numérique pour des jeunes et des demandeurs d'emploi n'ayant pas le bac. Des préparations collectives à l'emploi (POC) sont ainsi proposées par Pôle emploi. Leur nombre d'heures a été relevé à 800 et une aide aux entreprises a été créée (prise en charge de 8 euros par heure de formation). Administrateur de sécurité informatique, designer Web, développeur codeur, technicien cloud, animateur e-commerce… La palette de métiers est large et les premiers stages devraient démarrer ce mois-ci.
À la rentrée également, devraient être dévoilés les noms des 400 nouvelles écoles labellisées "grande école du numérique". Elles sont déjà 400 à offrir un parcours de reconversion à celles et ceux qu'Internet séduit. Parmi eux, de nombreux décrocheurs. Figures de proue de cet écosystème, les écoles Simplon en accueillent près de 50% sur les 1.500 nouveaux élèves reçus tous les ans. "C'est dur de les convaincre qu'ils sont capables d'intégrer ces filières tant l'autocensure est forte : 'Je suis nul en maths et en informatique, ça n'est pas pour moi', c'est comme s'ils souffraient du syndrome de l'imposture, regrette Frédéric Bardeau, président et cofondateur de Simplon, une entreprise sociale et solidaire qui a formé près de 2.500 personnes depuis sa création. Beaucoup pensent qu'il faut être un homme blanc avec un bac +5 et aimer les jeux vidéo pour faire carrière dans le numérique."
La preuve par l'exemple permet de combattre les stéréotypes de genre et de diversité. Six mois après leur sortie, 78% ont trouvé une solution d'insertion, (poursuite d'études, contrat de travail, création d'entreprise). Et douze mois plus tard, le taux grimpe à 98%. Mais pour toutes ces structures, le nerf de la guerre reste aussi financier. Beaucoup doivent avancer les frais de scolarisation, avant remboursement par l'État. Et la trésorerie manque parfois pour mener à bien ces missions salutaires…
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