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Vers une neuro-société : tout peut-il s’expliquer par l’imagerie cérébrale ?

L'imagerie cérébrale est-elle l'outil parfait pour tout comprendre ? Geralt/Pixabay, CC BY-SA

Avec l’explosion contemporaine des neurosciences, le cerveau est devenu la métaphore de référence pour décrire l’être humain dans son individualité, sa subjectivité, ses actions, sa vie privée et sociale. La rapidité avec laquelle les sciences du cerveau s’insinuent dans la société est frappante. Depuis une dizaine d’années, on ne peut que constater l’impact croissant des neurosciences dans les représentations culturelles, l’éducation, les médias, mais aussi dans les milieux industriels, financiers, politiques, militaires. Le « neuro » est partout : neuroéconomie, neuromarketting, neurophilosophie, neuroéducation, neurogymnastique… et même neuropolitique.

Cet essor des neurosciences est étroitement associé à l’émergence des technologies d’imagerie cérébrale telles que l’IRM. La possibilité de voir le cerveau vivant en train de fonctionner ouvrirait la voie au décryptage de la pensée, des émotions, des motivations, avec au-delà la possibilité de maîtriser les processus de prise de décision qui guident nos choix et nos actions. On ne s’étonnera pas que l’IRM intéresse des secteurs a priori bien loin de la neurobiologie : ressources humaines, assurance, publicité, renseignement, justice, etc. Ces questions interpellent la démocratie et appellent une réflexion éthique.

L’IRM, nouveau Big Brother ?

Un apport majeur de l’IRM est d’avoir révélé les propriétés de « plasticité » du cerveau qui se façonne en fonction de l’histoire vécue par chacun. Par exemple, chez les pianistes, on observe un épaississement des régions du cortex cérébral spécialisées dans la motricité des doigts et l’audition.

Ce phénomène est dû à la fabrication de connexions supplémentaires entre les neurones. De plus, ces changements du cortex sont directement proportionnels au temps consacré à l’apprentissage du piano pendant l’enfance. La plasticité cérébrale est à l’œuvre également pendant la vie d’adulte. Ainsi, le fait de s’exercer à jongler entraîne après seulement trois mois de pratique, un épaississement des zones du cortex qui contrôlent la coordination des bras et la vision. Et si l’entraînement cesse, les zones qui étaient épaissies rétrécissent.

Exemple d’image du cerveau obtenue par imagerie à résonance magnétique (IRM). English Wikipedia, CC BY

Ces exemples, et bien d’autres, résultats démontrent comment les évènements de la vie modifient le fonctionnement cérébral, ce qui se traduit concrètement par la restructuration des circuits de neurones du cortex. Rien n’est jamais figé dans notre cerveau. Il s’agit là d’une notion fondamentale à considérer pour l’interprétation les images par IRM. La présence de particularités anatomiques ou fonctionnelles dans un cerveau ne signifie pas qu’elles existent depuis la naissance, ni qu’elles y resteront gravées. En fait, L’IRM donne un cliché instantané de l’état du cerveau d’une personne à un moment donné. Elle n’apporte pas d’information sur son passé. Elle n’a pas non plus de valeur prédictive de futurs comportements. Un autre biais de l’IRM tient au pouvoir de fascination des images colorées du cerveau qui peuvent apparaître comme une preuve scientifique « objective » pour un public non averti.

Cerveau de droite ou de gauche ?

Selon des chercheurs de l’Institut londonien de sciences cognitives, les opinions politiques seraient inscrites dans nos neurones. Leur expérience a consisté a recueillir les orientations politiques de 90 étudiants et à étudier par imagerie IRM la structure de leurs cerveaux.

Résultat : le cortex cingulaire antérieur, qui joue un rôle dans la détection des contradictions, est plus volumineux chez les libéraux (la gauche, dans les pays anglo-saxons), alors que la région de l’amygdale, impliquée dans les émotions liées à la peur, est plus développée chez les conservateurs (la droite).

Au dire des chercheurs, leurs résultats révèlent un substrat neuronal aux analyses psychologiques qui montrent que la peur des situations conflictuelles et des risques différencie les conservateurs des libéraux.

La « psychologie politique » est une discipline en plein essor depuis 10 ans, particulièrement aux États-Unis. Son objectif est de comprendre pourquoi certains individus ont des croyances libérales et progressistes, tandis que d’autres penchent pour les idées conservatrices et réactionnaires. Le clivage idéologique viendrait de la petite enfance. D’après une étude menée chez des enfants de 3 ans suivis jusqu’à l’âge adulte, ceux décrits comme peureux, indécis, têtus et inhibés deviennent des adultes conservateurs. Par contre les enfants énergiques, expressifs, dominants et sociables adoptent plus tard les idées progressistes et libérales.

Toutes ces recherches ont fait l’objet d’une revue de John Jost publiée en 2011, qui nous annonce l’émergence d’une nouvelle discipline, la neuro-politique qui permettra de « comprendre et réduire les sources de l’acrimonie idéologique qui encourage l’incivilité et fait obstacle au progrès politique et social ».

Neuro-justice

Au XIXe siècle, Cesare Lombroso fondait la criminologie scientifique. Il prétendait repérer les criminels à partir des traits anatomiques du visage et du crâne. La science venait au secours de la justice

Où en est-on au XXIe siècle ? La même quête anime toujours certains chercheurs, en particulier aux États-Unis où la lutte contre la délinquance et le terrorisme est une priorité nationale. Certes, le vocabulaire et les méthodes ont changé. On ne parle plus de criminalité mais de psychopathie antisociale, tandis que l’imagerie cérébrale a remplacé l’analyse des faciès et des bosses du crâne.

En Inde, le procès d’une jeune femme, Aditi Sharma, a défrayé la chronique en 2008. Accusée d’avoir empoisonné son fiancé, alors qu’elle clamait son innocence, elle a été soumise à l’épreuve d’un détecteur de mensonges basé sur l’activité électrique du cerveau. L’électroencéphalogramme montrait une réaction identique aux phrases « j’ai acheté de l’arsenic », « le ciel est bleu », « j’ai eu une liaison avec Udit ». Les experts en ont conclu que l’achat du poison était un fait établi au même titre que la couleur du ciel. L’argument a été retenu comme preuve à charge et la jeune fille condamnée à la détention à perpétuité. Par chance, la publication de l’affaire dans le New York Times ainsi que les nombreuses contestations de la validité de l’épreuve ont permis l’annulation de la condamnation. La Cour suprême de l’Inde a néanmoins maintenu l’autorisation des détecteurs de mensonges à condition que l’accusé·e donne son consentement.

Aux États-Unis, l’utilisation judiciaire d’examens relatifs à l’anatomie et au fonctionnement du cerveau date d’une vingtaine d’années, en lien avec l’émergence des techniques d’imagerie cérébrale. Un des premiers procès du genre est celui de John Hinckley, accusé de tentative d’assassinat du Président Ronald Reagan en 1981. La défense a présenté un scanner du cerveau de Hinckley montrant un élargissement des sillons du cortex, comme on en trouve parfois chez certains schizophrènes. Bien que l’observation n’ait jamais été confirmée, l’argument a porté car Hinckley a été déclaré non coupable pour cause de démence.

À ce jour, plus de 600 cas ont été répertoriés aux États-Unis pour lesquels des images obtenues par IRM ont été introduites au niveau pénal comme « preuve ». Le sujet des applications juridiques des neurosciences est devenu une thématique de recherche à part entière dénommée « Neuroloi » (Neurolaw). Elle est l’objet d’importants programmes de financement associant les universités et l’administration américaine.

A la recherche des zones cérébrales du crime

Violence, agressivité, atteinte à l’ordre moral, criminalité, terrorisme… Tous ces comportements déviants auraient-ils leur origine dans le cerveau ? Pour le savoir, la méthode de choix est l’imagerie par IRM. Le laboratoire dirigé par Adrian Raine à l’université de Californie est spécialisé dans le domaine. Son objectif est d’étudier les bases neuronales des comportements de type antisocial, agressif et criminel « pour mettre au point de nouveaux traitements et des programmes de prévention pour ces maladies très coûteuses à la société ».

Dans une publication de 2008, Raine passe en revue les travaux sur les particularités anatomiques des cerveaux de psychopathes violents. Plusieurs études par IRM ont montré une légère réduction de l’épaisseur du cortex cérébral dans les régions préfrontale et temporale. Il faut noter que ce phénomène n’est en rien spécifique des criminels.

On a pu l’observer également chez des sujets alcooliques, drogués et chez certains patients épileptiques. Le problème de son interprétation reste entier. En effet, jusqu’à présent, aucune démonstration scientifique ne permet d’établir une relation de causalité entre une réduction d’épaisseur du cortex et un comportement déviant. En raison des propriétés de plasticité du cerveau, l’origine des variations de la structure du cortex ne peut pas être déterminée. Finalement, il est important de garder à l’esprit que la majorité des comportements antisociaux est le fait d’individus au cerveau normal. Néanmoins, le nombre des publications sur ces thèmes explose, principalement aux États-Unis. De 70 articles publiés entre 1990 et 2000, on est passé à plus de 2 000 entre 2000 et 2015.

En France, pour évaluer la responsabilité pénale d’un accusé le juge nomme des psychiatres et des psychologues qui appuient leurs expertises avant tout sur des entretiens et très peu sur l’imagerie du cerveau. Mais pour combien de temps encore ? Le modèle américain risque de s’imposer avec la perspective de voir les neurosciences suppléer le médecin clinicien dans l’évaluation de la responsabilité et de la dangerosité d’un prévenu.

Neuro-éthique

Au XIXe siècle, la forme du crâne et la taille du cerveau ont été utilisées pour justifier la hiérarchie entre les sexes, les races et les classes sociales. De nos jours, les méthodes d’investigation ont fait des progrès spectaculaires avec l’imagerie cérébrale et la découverte de la plasticité du cerveau.

Cependant la tentation est toujours présente de mettre en avant un déterminisme biologique pour expliquer le malaise social et les inégalités entre les groupes humains, reléguant ainsi au second plan les raisons sociales et culturelles. Allié à la fascination exercée par les images IRM du cerveau, l’argument neuroscientifique devient éminemment séduisant et convaincant pour les non-initiés.

Dans ce contexte, une réflexion éthique se doit d’être menée sur l’impact des neurosciences dans la société, l’économie et les politiques publiques. En France, la loi de bioéthique inclus depuis 2011 une mission de veille sur les recherches et des applications des techniques d’imagerie cérébrale, confiée au comité consultatif national d’éthique.

Cette mission a pour objet de défendre une éthique dans la production des savoirs en neurosciences, d’éveiller la responsabilité des chercheurs sur l’impact de leurs travaux dans le champ social et d’alerter sur les dérives dans l’utilisation et l’interprétation de l’IRM. Souhaitons que ces préoccupations soient confortées à l’occasion de la prochaine révision des lois de bioéthique prévue en 2018.

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