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Energie et environnement

La vérité sur l'une des plus grosses arnaques fiscales en outre-mer

Ce projet d’installation de panneaux solaires à la Martinique avait convaincu 4.000 investisseurs. Son promoteur sera jugé pour escroquerie.
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448 Vérité escroquerie Jacques Gordes, en 2010.
Jacques Gordes, en 2010.
Capture d'écran Jackmsword.com

C’est l’une des plus grosses arnaques fiscales de ces dernières années, avec pas moins de 4.000 victimes. L’homme d’affaires Jacques Sordes est accusé d’avoir monté une vaste escroquerie aux panneaux solaires en outre-mer, qui lui a permis de récolter la bagatelle de 56 millions d’euros auprès des contribuables. Ce personnage fantasque, qui s’est rebaptisé Jack Michael Sword, a été récemment renvoyé en correctionnelle pour avoir détourné l’essentiel de cet argent à son profit. Challenges révèle les détails de cette affaire hors norme, qui illustre à l’extrême les dérives des dispositifs fiscaux d’outre-mer.

65% de rendement annoncé

Le stratagème de Sordes repose sur le Girardin industriel, un montage prisé par les ménages fortunés mais très décrié. Le contribuable investit à fonds perdu dans une société, qui achète du matériel pour le louer à une entreprise d’outre-mer à des conditions avantageuses. En échange, il bénéficie d’une réduction d’impôts supérieure à son apport. Dans le cas de Sordes, il s’agissait d’investir dans la pose de panneaux solaires sur les toits de bâtiments à la Martinique.

Son holding Lynx Finances Group, enregistré à Hong-kong, était présent à toutes les étapes de l’opération via diverses entités : il fournissait les panneaux, les exploitait et vendait l’électricité à EDF. C’est aussi Sordes qui dirigeait de fait la société DOM-TOM Défiscalisation (DTD), chargée de collecter les fonds auprès des contribuables entre 2007 et 2010. Ces derniers n’apportaient qu’une partie du financement. La majorité était censée provenir de crédits fournisseurs octroyés par une filiale luxembourgeoise de Lynx Finances Group. DTD promettait aux particuliers un rendement pouvant aller jusqu’à… 65% de leur apport.

Avec un tel montage, les investissements auraient dû s’élever au total à 112 millions d’euros. Mais les investigations du juge financier René Grouman ont permis de montrer que "les investissements réalisés étaient fort éloignés de ce montant, et qu’une part importante des fonds apportés par les souscripteurs avait été utilisée à d’autres fins que celles prévues par la loi Girardin", précise l’ordonnance de renvoi.

A peine 8,6 millions ont été dépensés pour l’achat et l’installation de panneaux solaires. Seules 50 toitures ont été équipées et aucune n’était prête à être raccordée au réseau, alors que le montant théorique des investissements correspondait à 2.775 installations. Des "retards" que Sordes a imputés, devant le juge, à des problèmes de matériel, des mouvements de grève ou des défaillances d’EDF. Par ailleurs, 8 autres millions ont servi à rémunérer les salariés et les intermédiaires.

Avantage fiscal annulé

Le reste de l’argent levé auprès des contribuables s’est carrément évaporé dans la nature. Sordes a utilisé 32 millions pour divers placements personnels et pour financer des sociétés luxembourgeoises de compléments alimentaires et de cosmétiques. Enfin, 8 millions lui ont permis de régler des dépenses privées et des achats immobiliers : trois maisons à la Martinique, une au Luxembourg, une autre dans l’Utah aux Etats-Unis et un appartement àManhattan, dans l’Essex House. Ce luxueux bâtiment Art déco, situé en bordure de Central Park, compte parmi ses copropriétaires Liam Gallagher, l’ex-chanteur d’Oasis, et abrite un hôtel Marriott.

Sordes assure qu’il s’agissait de placements "en bon père de famille" en attendant que les centrales soient raccordées. Guère convaincu, le juge estime que le système de facturation mis en place entre les filiales de Lynx Finances Group était purement fictif : il ne visait qu’à donner "une apparence de légalité à un processus frauduleux".

Pour s’assurer que le fisc valide son dispositif, Sordes avait même sollicité, à l’époque, un haut fonctionnaire de Bercy, qui l’avait aidé à monter son dossier moyennant rétribution, avant de se brouiller avec lui. Les deux hommes ont depuis été condamnés pour corruption dans une procédure distincte.

Le fisc a bien été abusé "dans la mesure où, pour permettre aux souscripteurs de bénéficier de leur avantage fiscal, la société DTD délivrait chaque année une attestation de bonne fin, en réalité inexacte ou mensongère". Du coup, les contribuables floués ont tous subi un redressement et perdu leur ristourne fiscale. "L’administration a reconnu qu’il n’y avait pas d’intention frauduleuse de leur part et n’a appliqué qu’une majoration de 10% en plus des intérêts de retard", précise Marc Susini, avocat au cabinet Reinhart Marville Torre, qui défend des investisseurs.

Quelque 700 d’entre eux se sont regroupés au sein de l’Association des investisseurs en Girardin industriel photovoltaïque (Adigip), défendue par le cabinet Fidal. "Pour obtenir un dédommagement, nous avons aussi engagé des procédures civiles contre les nombreux conseillers en gestion de patrimoine qui ont commercialisé le produit DTD", explique un administrateur.

Un parcours haut en couleur

Jacques Sordes devra-t-il verser des dommages et intérêts à ses victimes ? L’homme d’affaires de 67 ans, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, encourt en tout cas une peine de cinq ans de prison et une amende pouvant s’élever à la moitié des fonds blanchis suite à l’escroquerie. Son parcours haut en couleur risque de ne pas plaider en sa faveur lors du procès. Sur son site Internet, il explique avoir bâti sa fortune dans la publicité, les cosmétiques, puis l’immobilier à travers le groupe Lynxis, basé au Luxembourg. Il fut un temps associé à l’architecte Costas Kondylis, auteur de plusieurs tours pour Donald Trump à New York. Des photos le montrent en compagnie du milliardaire américain ou d’autres personnalités, tel le prince Alexandre de Serbie.

Les affaires de Sordes ne s’arrêtent pas là. Dans un rapport parlementaire de 1999 sur les sectes, qu’il conteste, on apprend que, sous couvert d’activités de formation, il dispensait des cures d’amaigrissement ou de "physio-neuro-énergie", vendues 14.285 francs les huit jours. Lynxis héberge toujours une filiale appelée Secret Universe Network (SUN), qui organise des séminaires, dispense des "messages de formation quotidiens" et une vidéo mensuelle pour 15 euros par mois. Objectifs : apporter à tous "l’abondance matérielle", "la connaissance ultime"… Le site assure que ses membres peuvent y gagner des dizaines de milliers d’euros, et "faire ainsi tourner "La Roue de l’Abondance" dans leur vie". 

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