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Pourquoi le bitcoin n'est pas l'avenir de la monnaie

CHRONIQUE. L'essor des cryptomonnaies répond au vieux rêve de Friedrich Hayek de libéraliser totalement la création monétaire. Mais, jusqu'ici, on n'a rien trouvé de mieux que de confier ce rôle aux banques centrales afin d'assurer la stabilité de nos économies. Pourquoi, dès lors, vouloir changer ?

Par Robert Skidelsky (professeur émérite à l’université de Warwick)

Publié le 7 juin 2018 à 07:37

En matière monétaire, les périodes de ralentissement économique sont toujours des moments propices à des expérimentations, et la crise de 2008-2009 ne fait pas exception. Cela s'explique au moins en partie par l'idée tout faite selon laquelle les crises économiques sont dues à des facteurs monétaires, et qu'il y faut donc une solution monétaire. Soit il y a trop de liquidité, ce qui entraîne l'inflation, soit il y en a trop peu, ce qui entraîne la dépression. C'est pourquoi les acteurs des réformes monétaires veulent éviter tout désordre susceptible de nuire à « l'économie réelle », autrement dit la production et le commerce.

Ordre établi

Mais ils veulent aussi éviter une remise en question bien plus radicale de l'ordre établi. Dans la mesure où les fluctuations monétaires sont la principale cause des fluctuations économiques, il suffit de veiller à ce que la quantité de liquidités sur le marché réponde aux besoins de l'économie, et l'Etat n'a plus besoin d'intervenir. C'est la principale thèse des économistes libéraux.

On oublie souvent que le New Deal du président américain Franklin D. Roosevelt a commencé par une phase de relâchement monétaire. A l'époque de l'étalon-or, le Trésor américain achetait de l'or pour pousser les prix à la hausse et augmenter ainsi le pouvoir d'achat des agriculteurs très endettés. Une politique qui a souvent été jugée inefficace.

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Relâchement monétaire

Mais, pour contrer les effets de la crise de 2008, Ben Bernanke, le président très monétariste de la Réserve fédérale américaine, et d'autres responsables des banques centrales ont fait de même en achetant en grande quantité des titres publics pour relancer l'économie. Bien que la plus grande partie des liquidités ainsi créées ait été thésaurisée ou utilisée à des fins spéculatives, le relâchement monétaire a évité de céder aux pressions en faveur d'une politique budgétaire expansionniste.

La crise de 1930 et celle de 2008 ont suscité des appels forts à réformer le système bancaire. En 1933, aux Etats-Unis, la loi Glass-Steagall interdisait aux propriétaires des banques commerciales d'utiliser les dépôts de leurs clients pour spéculer. Après 2008, la loi Dodd-Frank, le rapport Vickers au Royaume-Uni et le rapport Liikanen en ce qui concerne l'UE préconisaient de rendre le système bancaire plus « résilient » aux « chocs ». Alors que ces chocs étaient la conséquence de la crise économique, on a fait comme s'ils en étaient la cause : « Restaurons l'ordre monétaire et bancaire et il n'y aura plus de crise. »

Court-circuiter les banques

C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre l'apparition des cryptomonnaies, la dernière mode en matière monétaire. Ces « systèmes de liquidités électroniques entre pairs » visent à résoudre les problèmes économiques par des mesures monétaires, mais en court-circuitant les banques. « Pourquoi utiliser ces intermédiaires souffreteux », demandent les créateurs de cryptomonnaie, alors qu'il est possible de créer des systèmes de transaction et de dépôts électroniques sécurisés et inaccessibles à des contrôleurs potentiels ?

Les détails techniques de ces nouveaux systèmes de liquidité sont difficiles à appréhender, mais non ce qui les inspire. Le début du bitcoin en janvier 2009 coïncide avec la crise bancaire. Les banques faisaient faillite ou l'évitaient grâce à l'argent des contribuables. Des gens ont donc cherché à mettre leur argent hors de portée des services fiscaux, à éviter de le déposer dans les banques et à effectuer leurs transactions sans passer par elles. La nouvelle cryptomonnaie offrait la solution.

Rêve de liberté

Le bitcoin peut aussi attirer en raison des possibilités de spéculation qu'il offre et de blanchiment d'argent issu de divers trafics. Mais, au-delà de sordides motivations, se trouve également le rêve d'une liberté totale de création de la monnaie, ainsi que l'a proposée l'économiste Friedrich Hayek. Il a émis l'idée d'autoriser la création de monnaies privées en concurrence les unes avec les autres au milieu des années 1970, en pleine période inflationniste, qu'il attribuait à de trop grandes facilités de crédit de la part des banques centrales. Il écrivait en substance ceci : « Si nous voulons conserver la liberté d'entreprendre, nous n'avons d'autre choix que de remplacer le monopole de l'Etat sur la monnaie et le système de monnaies nationales par des monnaies privées en concurrence entre elles. »

Syndrome de l'étalon-or

On peut considérer le bitcoin comme une tentative d'utiliser les nouvelles technologies pour éviter une mauvaise gestion de la monnaie. A titre d'exemple, l'offre totale de bitcoins est fixée, ainsi que ce serait le cas dans une certaine mesure pour une devise reposant sur l'or. Paradoxalement, bien que créé à partir de rien, le bitcoin n'offre pas la possibilité de créer de la monnaie. Il sera extrait de sa « mine » en quantités de plus en plus faibles, jusqu'à ce que la mine soit épuisée en 2040 après extraction de 21 millions de pièces digitales. Autrement dit, cette monnaie n'offre aucune élasticité. Bien avant que la mine ne soit épuisée, le bitcoin rencontrera le même problème que l'étalon-or : une offre de monnaie insuffisante par rapport à la croissance économique et démographique.

Le bitcoin rencontrera le même problème que l'étalon-or : une offre de monnaie insuffisante par rapport à la croissance économique et démographique.

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Par ailleurs les cryptomonnaies ne protègent pas contre l'inflation. Au cours de l'histoire, on a cherché à éliminer les devises inflationnistes, ce qui a abouti à la création des banques centrales. Il est étonnant que ce rappel soit nécessaire pour s'en rendre compte. Les sociétés humaines n'ont pas découvert de meilleur moyen pour maintenir à un niveau relativement constant la valeur d'une monnaie que de confier aux banques centrales le contrôle de l'émission monétaire et celui du volume du crédit des banques commerciales.

Robert Skidelsky est professeur émérite d'économie politique à l'université de Warwick. Cet article est publié en collaboration avec Project Syndicate 2018.

Robert Skidelsky

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