Avec son texte-masse et l'effet graphique qu'il induit, Marie-Laure Dagoit parvient à produire le lieu d'expérience d'un équilibre entre deux abîmes: celui du ciel et celui de la terre, ou celui du vide et du plein. Cet équilibre semble parfaitement cohérent tant son alphabet est austère quant au graphisme et tant son objet est sensible si bien qu'une lentille de "contact" est fournie avec le livre....
Un "temps" paradoxal émane étrangement en des surfaces faites de faux aveux et de réels fantasmes conjugués, une fois n'est pas coutume, au féminin. Cela fait penser sur le plan de l'effet de vision à la fameuse anecdote sur Giotto. Jeune élève de Cimabue il peignit de manière si frappante une mouche sur le nez d'une figure commencée par son maître, que celui-ci, en se remettant au travail, essaya plusieurs fois de la chasser avec la main avant de s'apercevoir de sa méprise...À sa manière Marie-Laure Dagoit est une Giotto "scripturographe".
Entre l'extériorité lumineuse de l'effet miroir et le repli des plus impudiques elle lie sans cesse l'ouvert et le retrait, l'excès et la débandade. L'acte de délimiter l'espace par l'effet de grossissement de la lentille revient d'ailleurs à porter encore plus à découvert l'infime et la libre vastitude. On se souvient alors qu'être sur terre veut dire être sous le ciel (de lit). Et il n'est plus besoin de diviniser les astres pour éprouver la (douce) contrainte de la station terrestre et le sentiment des effluves et des voluptés.
Mais Marie-Laure Dagoit crée des illuminations profanes. Le support-livre n'est plus le fond neutre des choses à voir, mais le champ actif d'une imprévisible expérience visuelle. Chaque segment de phrase, chaque proposition (à tous les sens du terme) deviennent l'extrapolation capable de multiplier des signes organiques, biologiques propres à créer un vertige. Le texte permet d'imaginer bien des horizons. On cherche leurs traces, leurs indices tout en sachant que leur rencontre est impossible et - bien sûr - leur seuil infranchissable. Mais ce qu'on aime justement tient à ce nécessaire écart. On compte sur ses gouffres puisqu'avec eux le début n'est jamais fini et jamais n'est close l'histoire.
Mais on l'aura compris à tous ceux qui cherchent dans l'art et la littérature une parfaite transparence et un sens absolu et certain, il est conseillé de rester éloigné de l'œuvre. Son feu résiste toujours à qui veut l'éteindre. Ses territoires ressemblent à une carte oubliée sur laquelle chercher son chemin est inutile.
Marie-Laure Dagoit, Porno-graphique, livre dépliant accompagné d'une loupe, Editions Derrière la Salle de Bains, Rouen, 120€.