En France, la radio numérique terrestre enfin en passe d'un tournant national

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En France, la radio numérique terrestre enfin en passe d'un tournant national

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La technologie DAB+, au-delà d'une qualité sonore optimisée, permet d'afficher des données associées aux programmes : noms de l'émission, des invités, de la chanson en cours de diffusion...
La technologie DAB+, au-delà d'une qualité sonore optimisée, permet d'afficher des données associées aux programmes : noms de l'émission, des invités, de la chanson en cours de diffusion...
© Getty - Adam Gault

Jeudi dernier, le CSA a autorisé 25 stations à diffuser leurs programmes via le DAB+, un système de transmission par voie numérique, sur l’axe Paris-Lyon-Marseille. En gestation à l'échelle locale depuis plusieurs années, ce déploiement métropolitain veut résorber la perte d'auditeurs de la radio.

L’axe Paris-Lyon-Marseille va inaugurer le premier déploiement métropolitain de la technologie nouvelle génération du DAB+. Le jeudi 15 juillet dernier, les autorisations délivrées par le CSA, entité régulatrice des fréquences françaises, sont entrées en vigueur pour 25 radios nationales*, six publiques et 19 privées, musicales ou généralistes - dont France Culture et les antennes de Radio France. Elles vont pouvoir émettre par l’intermédiaire de la radio numérique terrestre (RNT) à compter du 12 octobre prochain, date fixée par la réglementation du gendarme de l’audiovisuel. La capitale, les villes rhodaniennes et bucco-rhodaniennes, ainsi que les autoroutes les reliant et les agglomérations traversées par cet axe nord-sud-est, seront dès lors couvertes par cette innovation technique de première importance pour l’univers de la radio. Après de premières années de développement très poussives et cantonnées aux échelles locale et régionale, cette phase d’extension inédite veut être un cap pionnier dans ce nouveau chapitre de l’histoire du média radiophonique. Pour ses défenseurs, la RNT se présente, au travers des avantages qu’elle octroie au public, comme la solution aux changements d’usage et à la perte d’auditeurs pour la radio, malgré certaines limites.

L'arrivée de ces stations des plus importantes dans le paysage radiophonique français sur le DAB+ provoque un avis plus mitigé chez certains professionnels du secteur. Explications avec Hugo Roux.

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Fini les grésillements du poste

La technologie de la radio numérique terrestre (aussi appelée DAB ou DAB+, du nom de la référence technique mondiale Digital Audio Broadcasting) veut trancher avec sa prédécesseure, la bande de modulation de fréquence (FM), active depuis les années 1980, dans un mouvement similaire à celui du passage à la TNT pour la télévision. "Le premier avantage pour l’auditeur est un meilleur son. Aujourd’hui, la radio s’écoute en analogique. On va passer à un système de son numérique, dont la qualité est à peu près équivalente lorsqu’on écoute de la musique sur un CD", explique Hervé Godechot, membre du CSA chargé du projet. Autre avantage : les grésillements intempestifs, qui signalent la perte de la fréquence FM et particulièrement fréquents lors de trajets amenant à changer de zones géographiques, et qui débouchent donc sur le changement de fréquence pour les stations, sont inexistants dans le cas du DAB+. Le flux numérique, généré par un réseau d'émetteurs, garantit en effet une continuité sonore sans coupures ni interférences. D’autre part, ce confort d’écoute s’accompagne d’une facilité d’usage pour l’auditeur, estime Jean-Marc Dubreuil, représentant en France de l’association de promotion de la RNT WorldDAB

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Cela paraît tout bête, mais au lieu de connaître la fréquence de sa station favorite, ce qui est souvent le cas lorsque l’on veut trouver sa radio dans sa région, on va avoir accès à une liste alphabétique qui va apparaître sur l’écran devant nous et qui va permettre de choisir la radio avec son nom. Des données associées aux programmes vont également faire leur apparition grâce au DAB : on va pouvoir lire le titre du programme en cours, l’interprète de la chanson diffusée, ou voir des images, comme la pochette d’un album, qui s’afficheront sur le poste récepteur. Jean-Marc Dubreuil

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La radio numérique terrestre offre tout autant de nouvelles perspectives aux professionnels du monde radiophonique. Alors que la bande FM souffre d’une saturation chronique, les circuits digitaux, qui numérisent et compressent le flux audio avant de les diffuser par voie hertzienne, permettent d’adjoindre plusieurs stations sur une seule et même fréquence. Par la même, la structure de diffusion est co-partagée : une fréquence peut contenir un total de 13 stations, qui peuvent alors se répartir les coûts d’exploitation des ondes. Ainsi, les deux premiers multiplex d’échelle métropolitaine s’actionneront le 12 octobre prochain, aux côtés des multiplex locaux qui parsèment déjà l’Hexagone. Hervé Godechot entrevoit dans cette architecture plus souple proposée par la RNT un horizon éclairci pour le média radiophonique :

Il n’y avait pas la possibilité pour une nouvelle radio de se créer sur la FM par manque de place disponible. Le DAB+ est une technologie qui est sur une autre bande de fréquences, et qui prend beaucoup moins de place. Par conséquent, il y a maintenant suffisamment de place sur la radio numérique terrestre pour pouvoir voir se créer de nouvelles radios. C’est une offre radiophonique qui va donc être évidemment enrichie, qui va être encore plus large qu’elle ne l’était jusqu’à présent avec la bande FM. Hervé Godechot

Le DAB+, ce "long serpent de mer"

Les grands groupes de radios se sont pourtant longtemps montrés frileux à l’idée de sauter le pas. Un manque d’entrain qui a retardé à plusieurs reprises cette échéance métropolitaine, et qui a rendu l’histoire du RNT passablement tortueuse. Évoqué dès la loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle, le DAB+ s’est d’abord lancé à l’échelle régionale en 2014, à commencer par les villes de Paris, Marseille et Nice. Face à l’abstention des stations nationales, les radios indépendantes et associatives se saisissent des appels d’offres mis en branle par le CSA au fur et à mesure des années aux quatre coins de la France. À la jonction des années 2018 et 2019, le gendarme de l’audiovisuel change de stratégie, restée jusqu’ici à un maillage territorial serré, et accélère le processus au forceps, comme le détaille Emmanuel Boutterin, président du Syndicat national des radios libres (SNRL) :

Le CSA a lancé un appel à candidatures, notamment en direction des grandes radios généralistes, dont le service public, pour les zones les plus densément peuplées et sur les grands axes de circulation de notre pays. Pourquoi il fallait faire ça ? Parce que les grandes radios privées et le service public n'avaient pas jusqu'à présent perçu l’intérêt de cette rénovation de la diffusion numérique de la radio. A la fois pour des raisons de positionnement, parce que tout le monde était très bien installé sur la FM où chacun avait fait son nid, et pour des raisons économiques et d’investissement technique : les grands acteurs de la radiodiffusion ne souhaitaient pas faire de choix trop rapides qui entraînent, il faut le dire, des coûts de diffusion supplémentaires. Emmanuel Boutterin

Le Choix de la rédaction | 14-15
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Frédéric Brulhatour, rédacteur en chef de La Lettre pro de la radio, diagnostique une cause supplémentaire de la crainte des grands groupes de radio d'intégrer le projet. Cette défiance avait entretemps été légèrement apaisée par le changement de braquet du CSA opéré dès 2017, qui projeta la RNT comme un complément de la FM, et non plus sa remplaçante éventuelle à court-terme.

Il faut savoir que le marché radiophonique est extrêmement tendu. Lorsque ces dirigeants ont vu arriver une nouvelle façon de consommer la radio avec le DAB+, ils ont perçu une technologie qui allait déstabiliser le marché publicitaire. C’était donc à risque pour eux, puisque l’audience impacte les revenus publicitaires, en particulier les radios commerciales privées, qui n’en n’ont voulu afin de pas fracturer ce marché. Tout cela a participé à la perception du DAB+ comme un long serpent de mer. Frédéric Brulhatour

Au mois de mars 2019, sur 40 candidats, le CSA opte pour 24 stations, dont 6 places avaient préalablement été préemptées pour les stations de Radio France par l’État, en sa qualité d’actionnaire majoritaire des radios du service public. Seule une poignée (M Radio, Latina et Air Zen) représente la catégorie des radios indépendantes, alors largement majoritaires sur la radio numérique terrestre. Un semblant de paradoxe, alors que les grands groupes se sont longtemps méfiés du DAB+ par crainte de l’émergence de nouveaux concurrents. 

"Peut-être qu’on a regretté ce résultat sur le moment de n’être pas plus de trois alors qu’un grand nombre de radios, dont Sud Radio_,_ Ouï FM ou FG_, avaient candidaté. Mais je ne n’entends plus de problématiques sur ce point. L’offre est telle qu’elle est constituée, et nous sommes massivement présents sur les multiplex locaux qui couvrent de grandes régions. Nous pensons qu’il y a une offre très riche, très complémentaire. Certains ont fait le choix du national, d’autres du local ou du régional. L’offre est aujourd’hui diversifiée, large et pluraliste. Et nous pensons qu’elle peut satisfaire globalement les auditeurs qui s’y retrouveront_", affirme Kevin Moignoux, secrétaire général du Syndicat interprofessionnel des radios et télévisions indépendantes (Sirti). Une concurrence qui va finalement se retourner contre les radios indépendantes et associatives ? Kevin Moignoux réfute : "Le pari que nous faisons collectivement sur le DAB+, c’est que cela ne fera pas moins de radios parce que plus de concurrence. Cela fera au contraire plus de médias radios, parce qu’il y aura une offre plus large. Donc les gens écouteront plus la radio, et pas forcément les nationales contre les indépendantes ou autres. Aujourd’hui, toutes les radios sont sur le bateau DAB, qu’elles soient grandes ou petites. Maintenant, il faut qu'on travaille tous dans le même sens pour que ce soit un déploiement gagnant-gagnant", notamment sur les prochains appels à candidatures organisés pour de nouveaux lots régionaux et locaux.  

Kevin Moignoux, secrétaire général du Sirti, souhaite que les pouvoirs publics s'engagent davantage dans le déploiement du DAB+ et la prise en compte des radios aux finances fragiles.

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Cette situation est corroborée par l’exemple norvégien, où le passage au DAB+ est déjà terminé et la FM définitivement éteinte depuis la fin 2017. Jean-Marc Dubreuil s'en saisit pour souligner des résultats d’autant plus cruciaux pour la radio : "Lorsque la transition a eu lieu, le nombre des auditeurs radios a baissé en raison du fait que la population devait se munir de nouveaux récepteurs compatibles. Deux ans après l’arrêt de la FM, le nombre d’auditeurs journaliers et mensuels avaient augmenté tout simplement parce que le choix avait lui aussi augmenté. Lorsqu’on donne du choix à l’auditeur, il revient à la radio."

Jean-Marc Dubreuil dresse un état des lieux d'une Europe qui opère sa transition vers le DAB+, dont les têtes de gondole sont la Norvège et la Suisse.

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Un moyen de conquérir le public, avec ses limites

Aussi, de l’avis des professionnels du secteur radiophonique, la diversification et le renforcement de l’offre sur le système DAB+, doublée des atouts de la technologie en termes de confort d’écoute et d’usage, peut permettre de résorber l’hémorragie d’auditeurs que connaît actuellement le média radio en France. Le contexte se fait pressant : la dernière livraison de l’entreprise de mesure Médiamétrie pointe la perte d’1 million d’auditeurs sur la dernière période printanière, soit une baisse historique qui porte le nombre d’auditeurs à 39,1 millions. La modernisation induite par la RNT vise à s’aligner sur les nouveaux usages de l’audio, introduits par l’émergence du podcast, de la radio digitale ou des agrégateurs numériques de contenus, à l'image de RadioPlayer France ou des GAFAM, expose Hervé Godechot :

Hervé Godechot, membre du CSA en charge du DAB+, met en exergue la nécessité de renouveler le média radiophonique face à l'émergence de nouveaux acteurs dans l'univers de l'audio, notamment les GAFAM.

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La radio numérique terrestre présente même certains avantages, à l’instar de la gratuité d’accès à ces services ou à l’anonymat, deux éléments qui ne sont pas garantis dans le cadre d’une écoute de la radio sur Internet (dite radio IP), par exemple.

La radio numérique terrestre veut particulièrement faire valoir ses qualités en voiture : le DAB+ élimine les interférences grâce au flux numérique garanti par les réseaux d'émetteurs.
La radio numérique terrestre veut particulièrement faire valoir ses qualités en voiture : le DAB+ élimine les interférences grâce au flux numérique garanti par les réseaux d'émetteurs.
© Getty - IronHeart

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Par ailleurs, le volume d’auditeurs va augmenter dans le sillage d'un mouvement de fond d'ores et déjà actionné. Depuis décembre 2020, et la promulgation d’une directive inclue dans le Code européen des communications électroniques, les constructeurs automobiles ont pour obligation d’équiper les véhicules neufs avec des systèmes de radio compatibles avec la technologie DAB+. Le texte de loi a été transposé en France au début de l’année 2021. Anne Fauconnier, déléguée générale du Bureau de la radio, association regroupant les principaux groupes de radios privées commerciales (NextRadioTV, M6, NRJ Groupe, Lagardère News) et parties prenantes du prochain déploiement métropolitain, avait fait valoir le contexte pandémique pesant sur le monde automobile, entre autres, pour demander un report de ce prochain déploiement, resté lettre morte auprès du CSA : 

L’industrie automobile a vécu une grande crise, notamment sur la vente de véhicules neufs. En 2020, il y avait 25% d’automobiles vendus en moins par rapport à 2019 ; en 2021, on est à peu près à 20% de moins par rapport à cette même année. Donc l’industrie automobile, pour la construction et la vente de voitures neuves, n’a pas retrouvé son niveau d’avant la crise, ce qui implique qu'il y a forcément un nombre de récepteurs DAB+ qui n’est pas encore optimal. La conjoncture économique et le marché publicitaire ne sont pas propices au lancement actuel d’un nouveau réseau radiophonique. On aurait préféré qu’on se donne jusqu’en 2022 afin que le projet profite à plein de la reprise de l’économie. Anne Fauconnier

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En France, il s’est écoulé près de 3,5 millions de postes radio compatibles avec la RNT en 2020, selon des chiffres publiés par l'association WorldDAB qui incluent les récepteurs intégrés dans les véhicules sortis des usines de fabrication. Cette augmentation par rapport à l’année 2019, avec 1 million de postes supplémentaire vendus, fait dire à un industriel du secteur que les prix, compte tenu de la demande croissante, vont continuer à baisser. Mais la somme totale demeure assez basse et reflète les limites actuelles du système DAB+ : aujourd’hui, seuls 30% du territoire hexagonal est couvert par cette nouvelle technologie de diffusion radiophonique. Le CSA a pour ambition de franchir le seuil des 50% de couverture à la fin de l’année 2022, et va prendre appui sur le prochain déploiement métropolitain pour réaliser une large campagne de communication sur l’utilité de la radio numérique terrestre. Une démarche nécessaire, mais qui ne pourrait occulter que le coche fatidique de l’été, symbolisé par les grands départs en vacances sur les routes, a été raté, considère Jean-Marc Dubreuil : "Malheureusement, on va louper la période estivale pour le lancement du DAB+ métropolitain. La communication vers l’auditeur va être primordial : pour l’instant, si l’on demande à une personne lambda dans la rue si elle connaît le DAB+, la réponse est non. Mais le déploiement du multiplex métropolitain va permettre de rendre visible et reconnaissable le DAB+ à une grande partie de la population."

Reste que la FM a encore de beaux jours devant elle : pour l’heure, aucune date de fermeture n’est prévue, et les postes DAB+ vendus dans le commerce doivent continuer à pouvoir recevoir les modulations de fréquence. Surtout, plusieurs conditions sine qua non - 100% de couverture du territoire français en DAB+ notamment - sont loin d’être remplis. "Mon pari, c’est qu’un jour, nous aurons une extinction presque naturelle de la FM sans qu’il y ait véritablement besoin de date particulière", espère Hervé Godechot.

* Air Zen, BFM Business, BFM Radio, Chérie FM, Europe 1, FIP, France Culture, France Info, France Inter, France Musique, Fun Radio, Latina, M Radio, Mouv', Nostalgie, NRJ, Radio Classique, RFM, Rire et Chansons, RMC, RTL, RTL 2, Skyrock, Skyrock Klassics, Virgin Radio.

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