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Artistes indépendants, nous sommes les victimes collatérales des lobbys américains

A Bruxelles, une décision de justice en faveur des Etats-Unis va priver la production indépendante française d'un financement essentiel à sa survie. La chanteuse et écrivaine Viktor Lazlo s'insurge contre la passivité et l'indifférence des représentants politiques français.
par Viktor Lazlo, chanteuse, écrivaine
publié le 30 septembre 2020 à 17h53

Tribune. Chaque année, dans le paysage musical français, émergent de nouvelles voix, ou même d'anciennes qui n'ont pas fini de surprendre et qui refusent l'uniformité annoncée des majors, mammouths de la création qui s'essoufflent sans pour autant courir de grands risques.

Chaque année, grâce à de petits producteurs indépendants, ou à des artistes qui cumulent tous les métiers de la filière de la composition à la promotion, en passant par l’enregistrement, les mixages et la mise en ligne, les Français découvrent un paysage musical sans cesse renouvelé, sans se rendre compte qu’il y a derrière cette multitude de propositions, des artistes, artisans, qui souvent peinent à vivre de ce métier, la musique, que d’aucuns voudraient encore et malgré toutes les campagnes d’information qui ont circulé depuis l’invasion des plateformes de téléchargement, rendre accessible gratuitement à tous. De quoi vivraient les artistes ? A cette question, les conseilleurs ne sont jamais les payeurs.

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Aujourd’hui, dans l’indifférence la plus totale de nos autorités, qui pourtant ont, bon an mal an, réussi à conserver un semblant de politique culturelle, se joue une partition au plus haut niveau juridique de l’Europe, qui signera l’arrêt de mort de nombreuses structures de production et de nombreux artistes, dont je suis.

De la réciprocité des droits d’auteur

Pour faire simple, les Américains ont intenté un procès aux producteurs irlandais afin de récupérer les droits de diffusion de leurs artistes, qui représentent à peu près 40% de la diffusion irlandaise et ils l’ont gagné. Ce précédent les a encouragés à réclamer la rétribution des artistes américains au niveau européen diffusés dans les mêmes proportions qu’en Irlande, sous prétexte que la France et tous les autres pays, signataires des traités internationaux permettant la réciprocité des droits d’auteur, empochent illégalement ceux qui devraient leur revenir.

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Fort bien, pensez-vous comme moi, à cela près que cet argent n’ira jamais dans la poche desdits artistes puisque les Etats-Unis n’appliquent pas le droit d’auteur et ne rétrocèdent pas le moindre centime sur les musiques extra-étasuniennes diffusées dans leur pays. Cet argent ira directement dans la poche des Gafa et autres grands groupes de production qui ne demandent qu’à gonfler un peu plus encore. La réciprocité est un concept qui n’a pas cours dans ce pays où le pire comme le meilleur de l’homme s’exprime en alternance.

Mais venons au motif de mon cri de colère. En France, les droits des artistes américains qui font partie de ce que l’on appelle les non répartissables, servaient jusqu’à présent à aider la production indépendante, sous forme de multiples aides proposées par les organismes de gestion collectives que sont l’Adami, la Spedidam, le FCM, le SCPP… et d’autres. Sans cette manne miraculeuse (il fallait là se réjouir de l’incurie des Américains), des centaines de projets tombent à l’eau, car ces sociétés ne disposent pas d’autres fonds pour combler l’absence de maisons de disques ouvertes à la diversité culturelle et les producteurs pauvres, qui activent ces guichets en complément de leurs maigres ressources, se retrouvent le nez dans la panade, à devoir annoncer tous azimuts à leurs artistes impatients, que non, il n’y aura pas d’enregistrement possible. Pas de disque = pas de concert = pas de renouvellement du répertoire = pas de survie possible.

Le silence de Roselyne Bachelot

Vous me répondrez peut-être que le commun des mortels n’en a rien à faire des artistes, qu’il y aura toujours assez (trop) de musique et que c’est tant mieux pour eux, ils n’avaient qu’à choisir un vrai travail ou devenir tourneur-fraiseur. Eh oui, c’est pourtant bien nous, les saltimbanques, chanteurs, auteurs, compositeurs, interprètes, écrivains et cinéastes, acteurs et danseurs, qui avons nourri et ensoleillé votre quotidien pendant la sinistre période qui vient de se dérouler et qui semble nous pendre à nouveau au nez.

Pourtant, peu d’entre vous soupçonnent la profondeur du gouffre au bord duquel nous pousse cette grave décision de justice, car nous n’avons pas entendu un mot de notre ministre de tutelle, Mme Bachelot. Lorsque ces décisions ont été prises, au début de son mandat, que ne s’est-elle pas exprimée, que n’a-t-elle tapé du poing sur la table, alors qu’à Bruxelles, face au parlement européen, les lobbyistes américains ont dépensé des millions d’euros pour faire pencher la balance des décisions dans le sens du droit américain ? Que sommes-nous face à cette masse financière si nous n’avons même pas l’assurance d’être sinon protégés, au moins défendus par nos élus ? Si aujourd’hui, la seule voie qui nous reste est celle de la pétition, vous qui avez aimé nous écouter, nous regarder et nous lire, levez-vous avec nous, pour que ne meurent pas la majorité des artistes français. Pour que nous ne crevions pas dans l’indifférence générale.

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