Le jeu vidéo dans la peau

Tout commence en 1980 lorsque Bernie Stolar et plusieurs de ses associés fondent Pacific Novelty Manufacturing, Inc. à Marina del Rey, une station balnéaire du comté de Los Angeles. L’entreprise, spécialisée dans les jeux d’arcade, un secteur en pleine expansion depuis le succès stratosphérique de Space Invaders, devient l’une des places fortes du jeu vidéo au niveau national. Bernie Stolar, alors trentenaire, se fait remarquer pour sa ténacité et sa capacité à diriger des projets. À l’époque, Atari est loin de se douter qu’elle n’est qu’à quelques années d’un krach qui va bouleverser toute l’industrie. Les comptes sont au vert, le jeu vidéo est un secteur porteur et tous les indicateurs montrent que le pic de popularité est loin d’être atteint.

Bernie profite de cette opportunité et rejoint Atari pour y apporter son expertise en matière de jeux d’arcade. Quelques mois passent et il se voit rattaché au projet d’un certain Dave Needle, créateur d’un prototype de console portable, la Handy, qui deviendra la Lynx (et accessoirement co-ingénieur en chef du micro-ordinateur Amiga de Commodore, excusez du peu). Au contact de tous ces gens, Bernie Stolar ajoute une nouvelle corde à son arc et apprend, peu à peu, les rouages du secteur grand public en matière de jeu vidéo.

De Sony à SEGA, sur les traces d’une légende du jeu vidéo

Au début des années 1990, Bernie Stolar est une personnalité incontournable du jeu vidéo. Après plus de dix ans passés dans l’industrie, il est à la croisée des chemins et croit au potentiel de la future console de Sony, la PlayStation. Entouré d’une équipe redoutable, il fonde la branche américaine rattachée à la machine, Sony Computer Entertainment America et en devient le président. Durant ces années-là, il donne de précieuses indications à la maison-mère japonaise (grâce à ses connaissances du secteur du jeu vidéo) et participe à l’émergence de très grands jeux pour la PlayStation sur le plan occidental : Ridge Racer, Battle Arena Toshinden, Oddworld : L'Odyssée d'Abe, Spyro the Dragon, Crash Bandicoot… Dans un entretien relaté par le journaliste de Venture Beat, Dean Takahashi, il résume :

J’ai adoré travailler pour Sony. Mais quand l’opportunité s’est présentée d’aller chez SEGA pour aider à remodeler l’entreprise en proposant une nouvelle console, j’étais très intéressé. Cependant, je n’aurais pas quitté Sony si je n’avais pas vécu avec la peur de me faire virer comme tout le monde.

Viré ? Avec le succès colossal de la PlayStation ? Comment est-ce possible ? En réalité, dès l’année 1995, alors que tous les signaux sont au vert pour la marque, Sony – par la voix de son président à fort caractère, Norio Oga – décide de redonner les clés à des têtes pensantes de la branche japonaise. Tous les membres de l’équipe de Bernie Stolar, dont des pointures comme Steve Race (le monsieur débauché de SEGA par Sony et dont l’apparition à l’E3 1995, pour son « 299 », symbolisant le prix de la PlayStation, deviendra culte), se font jeter les uns après les autres. L’intéressé se sent sur un siège éjectable et saisit l’offre présentée par SEGA.

En 1996, il glane la présidence de SEGA of America et donne un véritable coup de pied dans la fourmilière. En s’appuyant sur l’expérience acquise chez Sony, Stolar propose à Hayao Nakayama, le patron de SEGA Japon, de stopper les frais avec la Saturn pour lancer une toute nouvelle console, très performante et bien mieux pensée. Nakayama, qui vient de perdre un allié de poids après le départ de Tom Kalinske, accepte et donne les clés à Bernie Stolar. Dans un premier temps, l’Américain cherche à trouver une échappatoire pour la Saturn en imaginant un système de téléchargement de jeux et signe même un contrat avec une société spécialisée dans la circulation de données numériques. Malheureusement, la machine, pensée comme une borne d’arcade, est un gouffre financier et Bernie Stolar comprend que c’est peine perdue.

À son arrivée chez SEGA of America, il licencie plusieurs dizaines de personnes (de 300 à 91 employés) en estimant qu’il faut se reconcentrer sur une seule machine en mettant le paquet. L’Histoire n’ira toutefois dans son sens. Après une série d’erreurs, Hayao Nakayama perd la présidence de SEGA et c’est l’actionnaire principal et big boss du conglomérat CSK à qui appartient SEGA, Isao Okawa, qui prend le contrôle de l’entreprise. Ce dernier a une vision différente de Bernie Stolar et les deux s’affrontent jusqu’à l’évincement de Stolar peu de temps avant le lancement américain de la Dreamcast en septembre 1999.

Une légende du jeu vidéo

Après Atari, Sony et SEGA, Bernie Stolar devient président de la filiale de Mattel, Mattel Interactive, et passera la majeure partie de sa carrière dans l’industrie du jeu vidéo. Après un passage par Oasis Mobile, il fonde Adscape Media, une compagnie spécialisée dans la publicité dans les jeux vidéo (société qui sera revendue à Google). Il était depuis avril 2014 président de ZOOM Platform, une entreprise spécialisée dans le contenu transmédia autour du jeu vidéo.

L'industrie du jeu vidéo perd une nouvelle fois une personnalité très importante. Un homme gentil et passionnant avec qui votre serviteur a eu le plaisir de s'entretenir il y a quelques années de cela.

Reposez en paix Mr. Stolar.