Mort de l'écrivain, scénariste et dramaturge Jean-Claude Carrière

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Mort de l'écrivain, scénariste et dramaturge Jean-Claude Carrière

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Jean-Claude Carrière au festival de Huesca, en Espagne, en juin 2016.
Jean-Claude Carrière au festival de Huesca, en Espagne, en juin 2016.
© Maxppp - Javier Blasco / EFE / Newscom

Écrivain, scénariste, parolier et conteur, Jean-Claude Carrière est mort ce lundi à 89 ans. Passionné par les religions et le théâtre, il avait travaillé avec les plus grands : de Luis Buñuel à Louis Garrel, en passant par Pierre Etaix ou Louis Malle. Récompensé par un Oscar d’honneur en 2015.

Un "conteur" comme il se définissait, un écrivain qui se cachait derrière ses personnages, "sans ego" disait-il également. Amoureux du langage, auteur à multiples facettes, Jean-Claude Carrière s'est éteint ce lundi, a appris l'Agence France Presse par sa famille. Apprécié du grand public comme de la critique, ce bibliophile a signé une soixantaine de scénarios, pour le cinéma et la télévision, et 80 ouvrages, dont un livre d’entretiens avec le dalaï-lama, un dictionnaire de la bêtise et une réflexion sur le livre avec Umberto Eco. Il fut aussi illustrateur de certains de ses livres, réalisateur, acteur, dramaturge et parolier pour Juliette Gréco, Brigitte Bardot ou Jeanne Moreau. Et il présida pendant dix ans la Fémis, l'École nationale supérieure des métiers de l'image et du son. " J'ai toujours aimé travailler et, surtout, on m'a toujours proposé des choses intéressantes", expliquait-il à Tewfik Hakem il y a encore moins de deux ans sur nos ondes.

Le grand complice de Buñuel

Retrouvez dans les émissions au fil de cette page les vies de celui qui était né en 1931 dans une famille de viticulteurs de l'Hérault, dans une maison sans livres ni eau courante. Venu à 14 ans en banlieue parisienne, ce bilingue en occitan deviendra normalien, après être passé par le lycée Lakanal. A peine terminées ses études de lettres et d'histoire, celui qui avait écrit des histoires de western et de pirates à 9 ans signe son premier roman, Le Lézard, publié par Robert Laffont en 1957. Jusqu'en 1959, il signe aussi plusieurs Frankenstein chez Fleuve noir, sous le pseudonyme de Benoît Becker. Sans oublier une autre formation-passion : l'entomologie, au point de pouvoir dire le nom de chaque insecte en latin.

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"J'ai essayé d'utiliser toutes les formes d'écriture de mon temps" racontait-il dans une série d'entretiens A voix nue, en 1996 signée Lucien Attoun.

Adepte du yoga marqué par la spiritualité et la métaphysique, Jean-Claude Carrière restera pour beaucoup l'auteur de La Controverse de Valladolid et le complice de Luis Buñuel. Rencontre déterminante après celle avec Jacques Tati, qui souhaitait pouvoir tirer des livres de ses films. Pendant dix-neuf ans, à partir de 1964, Carrière et Buñuel ont adapté le roman d'Octave Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre, et travaillé sur cinq autres films, dont deux des plus célèbres du réalisateur espagnol : Belle de jour, une adaptation d'un roman de Joseph Kessel, et Le Charme discret de la bourgeoisie

J'ai rencontré Buñuel au festival de Cannes, à un déjeuner. Il cherchait un scénariste français. On s'est très bien entendu et huit jours après, j'apprenais que je partais pour Madrid. Cela a été LA date de ma vie, évidemment. (...) Six films et un livre, Mon dernier soupir, que nous avons écrit tout à fait à la fin, quand il n'avait plus la force physique de tourner.                                                                  
Travailler avec lui consistait à se séparer du monde, à aller dans un endroit retiré, face à face, sans ami sans femme, pendant le temps qu'il fallait, jusqu'à ce que l'on ait une première version qui nous paraissait convenable du script. On se séparait pendant deux ou trois mois et on se revoyait pour une deuxième, troisième, etc. Pour Le charme discret de la bourgeoisie, il y a eu cinq versions différentes, cela a duré deux ans.

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Jean-Claude Carrière écrit, adapte également avec-pour Jacques Deray, La Piscine ou Borsalino, Milos Forman, Valmont, Jean-Paul Rappeneau, Cyrano de Bergerac, ou encore Michael Haneke, Le ruban blanc.

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Jean-Claude Carrière à son domicile parisien en 2001.
Jean-Claude Carrière à son domicile parisien en 2001.
© AFP - Jean-Pierre Muller

Salué de son vivant par le MoMA, il avait été trois fois nominé à l’Oscar (pour des films de Luis Buñuel et de Philip Kaufman), célébré par un Oscar d’honneur en 2015 et récompensé par un César pour le scénario du Retour de Martin Guerre en 1983.

Et dès 1969, le Festival de Cannes distingue son court-métrage La Pince à ongles d'un Prix spécial du jury. Il repassera derrière la caméra avec Jérôme Diamant-Berger pour L'Unique, sorti en 1986, le premier film en France avec des images de synthèses.

"Nous sommes éphémères comme le théâtre"

Jean-Claude Carrière a aussi beaucoup oeuvré pour le théâtre, avec trente quatre années passées au côté de Peter Brook. En 1985, le tandem avait en particulier monté le Mahabharata, un conte épique indien, au festival d'Avignon. L'équivalent de neuf pièces de théâtre, onze ans de travail. En général avant tout attaché aux personnages féminins qu'il avait fait vivre, Jean-Claude Carrière déclarait à Frédéric Taddéi en 2012 une inclination pour un très joli personnage de femme dans sa première pièce : L'aide-mémoire, en 1968, joué par Delphine Seyrig. Mais surtout pour Draupadi, l'étoile des femmes du Mahabharata.

Toujours dans A voix nue, il affirmait notamment : 

Comme nous sommes tous de passage, c'est en ce sens que le théâtre est essentiel. Mieux que toute autre forme artistique, il s'adapte à notre temporalité, à notre aspect éphémère. Nous sommes éphémères comme le théâtre. [...] Il y a un acte d'amour entre acteurs et spectateurs tous les jours et c'est en commettant le péché de chair qu'il se perpétue. Mais à un moment donné, un spectacle meurt définitivement.

Jean-Claude Carrière aimait à alterner dans ses productions car le XXe siècle était selon lui "l_e premier siècle qui a inventé de nouveaux langages : cinéma, parlant, radio, télévision puis nouvelles images de synthèse et numérique._"

En quête de sciences

Enfin, Jean-Claude Carrière a souvent interrogé les sciences. Comme à la fin des années 80 avec les astrophysiciens Jean Audouze et Michel Cassé. De leur échange naquit un succès de librairie : Conversations sur l'invisible, chez Belfond. La conversation sur des sujets plus terrestres se poursuivit avec Jean Audouze en 1996 dans un livre intitulé Regards sur le visible. En 2017, enfin, ces trois-là se retrouvaient pour échanger sur l’avancée des connaissance dans le domaine astrophysique, et firent paraître un troisième livre, chez Odile Jacob : Du nouveau dans l'invisible.

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Dans A voix nue, Jean-Claude Carrière estime que "la science est un réservoir d'histoires". Et de remarquer que maintenant même l'univers a une histoire. "De parler de l’univers comme d'un personnage, de dire qu'il a une histoire, c'est quelque chose qui, pour un conteur, est diablement rassurant !"

Interrogé par Etienne Klein, l'homme à l'hyperactive existence ajoutait sur notre antenne en 2019 : "Le néant n'est pas la mort, même si la mort est probablement le néant." 

C'est la possibilité de mourir à chaque instant qui donne du prix à chaque seconde et à chaque instant que nous vivons.

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