« La guerre morale continue » : Alison Lurie est morte

Alison Lurie à New York en 1988.

Alison Lurie à New York en 1988. DAVID KARP/AP/SIPA

Lauréate du prix Pulitzer pour « Liaisons étrangères », Alison Lurie est morte jeudi 3 décembre à l’âge de 94 ans. Cette romancière américaine, enseignante à l’université de Cornell et observatrice avisée des moeurs contemporaines, avait assisté, médusée, à la montée du néopuritanisme dans le monde étudiant. En 1998, elle se confiait à Sara Daniel sur le sujet.

Le Nouvel Observateur. Peut-on dire qu’il y a un retour du puritanisme sur les campus ? Les offensives de la droite chrétienne ont-elles influencé le comportement de vos étudiants, par exemple ?

Alison Lurie. Laissez-moi vous raconter une histoire que m’ont rapportée mes élèves de l’université de Cornell, à Ithaca. Un soir, une étudiante entre dans la chambre qu’elle partage avec une de ses amies. Elle trouve celle-ci dans les bras d’un garçon. Pour ne pas les déranger, elle laisse la lumière éteinte et se couche sans faire de bruit. Le lendemain, lorsqu’elle se réveille, son amie a été assassinée. Sur le miroir, en lettres de sang, il est écrit : « Merci de n’avoir pas allumé la lumière ! »

Une autre histoire qui, selon mes étudiants toujours, est arrivée à un de leurs amis : une étudiante faisait de l’auto-stop entre l’aéroport et le campus. Elle est prise par un étudiant qui la ramène à son domicile. Dans la voiture, elle oublie son châle. L’étudiant retourne donc chez elle pour le lui rapporter. C’est la mère de la jeune fille qui lui ouvre la porte... et lui raconte que sa fille est morte l’année dernière dans un accident de voiture.

Aucune de ces histoires n’est vraiment arrivée, bien sûr. Ce sont des « légendes urbaines », mais le message qu’elles véhiculent est clair : le sexe et la permissivité sont dangereux. Autant accepter de mourir tout de suite plutôt que de monter dans la voiture d’un homme... Ann Lauders, qui tient la rubrique « Mœurs » dans le journal d’Ithaca, a rassemblé dans un recueil ce genre d’histoires qui pullulent sur le campus de Cornell. C’est ainsi qu’elle s’est aperçue qu’on racontait ces mêmes histoires d’un bout à l’autre des Etats-Unis. De tout temps, ces légendes urbaines ont existé, mais, depuis les années 1950, elles n’avaient jamais été autant axées sur le sexe et l’effroi. Et cela ne s’explique pas uniquement parce que nous vivons les années sida.

Comment ce néopuritanisme se traduit-il concrètement sur le campus ?

Mes étudiants m’ont assuré que les groupes d’élèves préconisant la chasteté étaient très à la mode cette année, pour la première fois à l’université. Dans les rapports amoureux, on assiste à un retour en force des préliminaires. De tous ces à-côtés sexuels qui n’impliquent pas de pénétration. Les récits de mes étudiants m’ont fait penser aux pratiques puritaines de la Nouvelle-Angleterre du XVIIIe siècle. Une de ces pratiques était appelée « bundling », littéralement « emmaillotage » : il s’agissait de se mettre au lit avec une personne tout habillée pour s’assurer de la compatibilité sensuelle avant le mariage, sans pour autant succomber à la tentation. On avait droit à plusieurs tentatives.

Autre phénomène : j’ai constaté avec surprise que certaines de mes étudiantes, en pleine classe, se proclament fièrement lesbiennes, même si elles ne le sont pas vraiment. Elles n’écartent pas l’idée d’essayer un jour, mais il s’agit surtout de se soustraire au harcèlement masculin. Elles se disent homosexuelles pour avoir la paix. De toute façon, il n’y a pas le même opprobre contre l’homosexualité féminine que contre l’homosexualité masculine. Mes étudiants gays ont plutôt tendance à dissimuler leurs penchants.

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