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Olivier Dassault, l'héritier impossible

Olivier Dassault, l'héritier impossible
Olivier Dassault, l'héritier impossible © Sipa
Sophie des Déserts , Mis à jour le

Son grand-père Marcel, qu’il adorait, le surnommait « l’intrépide » et avait même envisagé de lui donner les clés de son empire. Toute sa vie, Olivier Dassault aura voulu être à la hauteur des ambitions du patriarche. A 69 ans, il avait bon espoir de prendre enfin la direction du groupe d’aéronautique. Il a disparu le 7 mars dans le crash de son hélicoptère à Touques, près de Deauville.

Dans la famille, on le surnommait « l’intrépide ». Olivier Dassault racontait volontiers, l’œil gourmand, ses exploits d’enfant casse-cou qui l’ont souvent mené à l’hôpital : glissades sur un lac gelé, pétards explosifs dans la poche, haute voltige en balançoire, « façon Tarzan pour épater les filles ». C’était au début de février dans son hôtel particulier parisien, près de l’Arc de Triomphe, lors d’une rencontre pour une enquête sur la succession du groupe dont il a hérité avec ses deux frères et sa sœur. Un empire bâti sur l’industrie aéronautique, des avions de combat (Mirage, Rafale) aux jets pour milliardaires (Falcon), l’électronique, la vente d’art (Artcurial), la presse (« Le Figaro »), le vin, l’immobilier… Une fortune colossale, la douzième de France. « J’ouvrirai toutes les portes à condition que tout passe par moi », prévenait-il en complet de flanelle, pochette violine. Il fixait les règles, lui l’aîné du clan, 69 ans, épanoui dans son univers d’un autre siècle : tableaux rares, meubles massifs, foison d’orchidées, cuisinier, majordome, la chienne Noisette à ses pieds, les rires de son petit garçon au loin et Natacha, sa femme, pimpante à l’idée de braver le couvre-feu pour quelques mondanités.

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J'avais un mauvais pressentiment

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Olivier Dassault aimait les mondanités comme il adorait, en bon député, serrer les pinces, inaugurer des écoles, des clubs de foot, des comités Miss France, aider les plus démunis et ses copains de droite, les emmener à la chasse puis s’envoler en avion privé vers ses propriétés, Megève, Marrakech, Punta Cana… « Vue du ciel, la terre est plus belle », disait-il. Le week-end dernier, après vingt-quatre heures dans sa maison normande, à la lisière de Deauville, il a convoqué un hélicoptère pour rejoindre son domaine de l’Oise. La route lui aurait pris deux heures, trop pour cet homme pressé. Un AS 350 Ecureuil l’a donc cueilli chez un couple d’amis, se posant habilement dans la cour. Aux commandes, un fidèle, ex-pilote de ligne, rompu à ses desiderata, après quarante ans de complicité dans les airs. Décollage joyeux sous les derniers rayons du soleil avant que l’hélicoptère percute un arbre. Deux vies pulvérisées, cruelle destinée pour l’héritier. « Quelque chose d’Icare », souffle le sénateur Olivier Paccaud, son disciple en politique ; « Fauché en plein vol », tremble son frère Thierry. Et Laurent, son cadet de deux ans, bouleversé : « Un drame, j’avais un mauvais pressentiment. » Olivier Dassault a péri alors qu’il s’approchait du Graal poursuivi depuis l’enfance : la tête du groupe créé il y a près d’un siècle par son grand-père.

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Les trois générations réunies le 27 février 1982, pour les 90 ans de Marcel Dassault. A ses côtés, son fils Serge et ses petits-fils Olivier (à g.), Laurent et Thierry.
Les trois générations réunies le 27 février 1982, pour les 90 ans de Marcel Dassault. A ses côtés, son fils Serge et ses petits-fils Olivier (à g.), Laurent et Thierry. © DR

Il se vivait comme l’héritier naturel, et d’une certaine manière il l’était. Marcel Dassault l’avait choisi, choyé bien plus que ses propres fils – Claude, le surdoué fragile, emmuré dans ses silences, et Serge, le petit gros fonceur, polytechnicien, qui souvent manquait souvent de tact mais avait à tout le moins engendré quatre héritiers. Olivier d’abord, né en 1951, a d’emblée ravi le patriarche avec sa bonne bouille, son sourire, son regard vif. Il dévorait la vie sans poser trop de questions ; à 7 ans, il se laissait baptiser parce que Marcel, rescapé de Buchenwald, craignait que la haine contre les Juifs flambe encore. Changer de nom après la guerre – de Bloch à Dassault – ne suffisait pas. Il fallait devenir catholique, au désespoir de son épouse.

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Marcel chérissait Olivier, fou d'admiration

Olivier n’a jamais cherché à interroger le passé ni à renouer avec ses origines, comme le fera Laurent. Il était facile, charmeur, brillant, le seul à poursuivre des études : maths sup, maths spé, puis l’Ecole de l’air où il apprit à piloter. Le vieux Marcel, qui n’aimait guère voler, gêné par ses tympans sensibles, le chérissait, fou d’admiration. « Pour mes 23 ans, il m’a offert un Cessna bimoteur, racontait Olivier Dassault. Il m’emmenait dans les réunions avec les politiques, Giscard, Chirac, avec les ingénieurs, il prenait mon avis, m’appelait son chef de camp. » Le petit-fils avait droit à tous les honneurs, même des photos en nœud pap dans « Jours de France », alors propriété de l’avionneur, qui entendait ainsi faire grimper la cote de l’héritier et lui attirer « les plus jolies filles ». Intronisation dans sa société de production de cinéma, avec un premier film, « La gifle », de Claude Pinoteau, qui révèle Isabelle Adjani ; place royale à ses côtés au siège du groupe, rond-point des Champs-Elysées. Son père, Serge, n’avait ni bureau ni considération. Le patriarche le priait toujours de faire ses preuves, refusant obstinément de l’adouber, voulant même désigner le jeune Olivier, sans craindre d’encourager à jamais la jalousie père-fils. Sommé par sa femme de respecter l’ordre des générations, Marcel Dassault garda le pouvoir jusqu’à sa mort, en 1986. Serge se battit pour s’installer dans son bureau. L’extase enfin, à 61 ans, « comme une seconde naissance », disait-il. Alors pas question de partager : reproduction du schéma paternel avec une défiance particulière envers Olivier, bridé à un poste d’adjoint chez Falcon Service, tandis que Laurent, plus financier, s’éveillait – les autres n’ont jamais bronché.

L'héritier prônait la défense du terroir, la peine de mort pour les terroristes, la fin des 35 heures, la suppression de l’ISF

Le chouchou de Marcel a continué de marcher dans ses pas, candidat à la députation, en 1988, dans sa circonscription de l’Oise. Victoire aussitôt suivie d’une lettre de licenciement paternel : c’était le groupe ou la politique – même si Serge Dassault se fera lui-même élire maire puis sénateur à Corbeil-Essonnes. Le géniteur, au moins, ne coupait pas les vivres, Olivier était richissime, libre, divorcé d’un premier mariage. Il choisit l’épicurisme, porté par ses hobbys : la chasse jusqu’en Afrique (il a failli perdre une main sous les crocs d’une lionne qu’il pensait avoir abattue), la photo, la musique, composant pour des films, des publicités, les standards téléphoniques (d’ADP, de Vulcania, de l’Assemblée nationale). Il labourait ses terres électorales comme Marcel ou presque : pas de liasses de billets mais des subventions, des petits cadeaux, pin’s et paniers gourmands, des bouffes, de beaux discours, « souvent lyriques, ponctués de poèmes », selon une reporter locale. De quoi assurer sa popularité et des réélections haut la main (sauf en 1997). L’héritier prônait la défense du terroir, la peine de mort pour les terroristes, la fin des 35 heures, la suppression de l’ISF. Il volait sur son Falcon, papillonnait, incorrigible séducteur, avant de tomber un jour, lors d’une vente d’art, sur une tornade blonde, Natacha Nikolajevic, communicante et fille à poigne d’un médecin serbe grandie à Dieppe. « Arrêtez de me résister, vous ne savez pas encore que vous m’aimez », lui a-t-il lancé. Noces princières en 2009, au siège du Rond-Point. « Je compris alors qui j’épousais », a confié la mariée, légèrement oppressée par le défilé des caciques UMP, de Brice Hortefeux à François Baroin et Jean-François Copé.

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Le 5 mars à Beauvais. Dernière sortie officielle du député Olivier Dassault, lors d'une visite du Premier ministre, Jean Castex.
Le 5 mars à Beauvais. Dernière sortie officielle du député Olivier Dassault, lors d'une visite du Premier ministre, Jean Castex. © AFP

A 50 ans passés, Olivier Dassault mesurait sa force. Il se voyait aux manettes, puisque Serge avait pris du champ, au moins officiellement, et effectué une donation-partage pour ses enfants. Sa désignation semblait acquise ; Nicolas Sarkozy, alors président, l’avait appelé dans son palais de Marrakech pour le lui dire : « Ton père m’a interdit de te nommer ministre, il te veut à la tête du groupe… » Manœuvre peut-être. Chez les Dassault, on parle peu, « on n’écoute pas la douleur », commandait la mère, si dure, si frêle. Olivier Dassault s’est lancé sur le divan télévisé de Mirelle Dumas, en 2009, pour déclarer : « Je suis prêt. » Psychodrame familial : père furieux, fratrie blessée, surtout Laurent, ce « petit Chose » longtemps écrasé et bouillant de prendre sa revanche. Ce fut un feuilleton digne de « Dallas ». Serge Dassault, qui jouait des rivalités, adouba Olivier : au même micro de Mireille Dumas, en 2011, le présentant comme « le plus apte », avant de se rétracter. Un supplice chinois. Il décida finalement de ne pas trancher, laissant en 2014 les rênes du groupe à son bras droit, Charles Edelstenne, alors âgé de 76 ans, épaulé par un comité des sages chargé de régler les conflits entre les enfants. Son cœur finit par lâcher en 2018. Olivier Dassault dit adieu à son père aux Invalides le 1er juin, jour de son anniversaire.

« Il était triste mais libéré », se souvient un proche. L’horizon s’éclaircissait, le favori de Marcel pouvait rêver de reprendre le sceptre. Il fallait encore renoncer à la politique, pour se conformer aux nouvelles règles de transparence imposées sous Hollande, attendre que Charles Edelstenne atteigne bientôt la limite d’âge, et que cesse la présidence tournante du conseil de surveillance instituée avec ses cadets. Le tour de Laurent approchant, Olivier avait convaincu les autres de lui barrer la route, après l’avoir démis de toute fonction exécutive dans le groupe. « Je suis garant de l’harmonie familiale », insistait-il, manière de dire qu’il verrouillait la suite.

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Ces derniers temps, il lui arrivait de tourner la clé de l’immense bureau de ses aïeux, donnant sur les Champs-Elysées. Un mausolée : personne, depuis la mort de Serge, n’osait y pénétrer. Sur les vieux murs couverts de toiles de maître, de décorations, de photos, il avait renforcé sa présence en ajoutant quelques portraits de lui tout sourire avec son épouse, ses enfants. Il relisait les traditionnels vœux paternels publiés dans « Le Figaro », fier d’avoir présenté les siens cette année à la une du journal. Discrètement, il prenait ses marques. Il était prêt. 

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